Hisse toi (re), deux vies, en forme « ah ! si on… »

Résumé :
Les formations, les qualifications, les compétences face au recueil des histoires de vie en formation sont interrogées, dans l’intérêt du recueillant et du recueilli, à travers des questions très souvent soulevées, par des personnes voulant s’investir dans cette démarche. Ainsi la démarche, la posture, le cadre dans son fond, sa forme, sa fonctionnalité par l’exemple d’un travail universitaire, y sont abordés pour une meilleure « com-préhension » de la formation professionnelle à cette démarche de travail, qui s’appuie sur un échange partagé dans un objectif « bio-graphique » d’un parcours de vie.

Mots clés :
Formation professionnelle, compétences, récit de vie, sujet, représentations, clinique dialogique, récit traumatique.
Summary:
Training, qualifications, skills versus the collection of life stories during their training are being questioned, in the interest of the collecting and collected persons. Data have been collected through questions that have often been raised by people who wanted to get involved in this process. This process, position, background framework and its procedure, its functionality – through an academic work model – are being approached in order to better « com-prehend » the vocational education in this work approach. The latter relies on shared exchanges in order to picture a « bio-graphical » course of life.

Key words:
Vocational education, competencies, life story, subject, representation, clinical dialogue, traumatic story.

Je vais d’abord évoquer la formation aux histoires de vie à partir de mon expérience, puis prendre appui sur ce que m’apprend la recherche en récits de vie que cette formation m’a autorisée à entreprendre dans le cadre de ma thèse.

La formation à la démarche

Être à l’écoute d’un récit, d’une histoire d’un proche, nous y avons tous été confrontés. Nous avons pu nous rendre compte à quel point : être disponible, ouvert à l’échange, sourire ou même rire ont nourri beaucoup d’entre nous.
Sommes-nous prédisposés naturellement à recueillir des récits de formation(s) de vie ?
Nous avons tous été déjà confrontés à l’écoute d’un récit ou de l’histoire d’un proche. Nous avons, alors, pu nous rendre compte à quel point se rendre disponible, ouvert à l’échange, sourire ou même rire, ont pu nourrir nos interlocuteurs.
Or, que l’histoire/le récit partagé(e)(s) lors d’un échange à deux ou en groupe soit agréable, joyeux, n’est pas toujours possible. Là encore, il est déjà arrivé à certains d’entre nous que notre interlocuteur nous répète sa question, sa consigne, sa fin de phrase, alors que celle-ci aurait du soulever un rire… ou une tout autre réaction naturelle lors d’un échange digne de ce nom. Alors par une pirouette verbale et pour nous sortir de cette situation, nous répondons rapidement et nous excusons auprès de notre partenaire de dialogue, lui demandant de bien vouloir répéter encore… Et nous cachons notre malaise.
Nous avons également, pour beaucoup d’entre nous, été confrontés à des récits quelque peu plus difficiles à entendre tant par le fond du message, que par sa forme. Je citerai par exemple ces derniers échanges sous tension parce qu’ils évoquent des moments difficiles ou tristes (l’annonce d’une maladie, d’un accident, d’un décès, d’une rupture…) et durant lesquels nous ressentons à quel point la relation présente nous rend vulnérable ; ou bien quand ils relatent des échanges conflictuels (dans le couple, la famille, au travail, entre ami(s)) qui peuvent nous soumettre à un malaise personnel intra-inter relationnel.
Mais pourquoi sommes nous parfois plongés dans une telle incompréhension ?
L’une des premières hypothèses, et la plus probable, que je souhaiterais présenter ici est la suivante : individuellement nos histoires, nos récits, se réfèrent à notre singularité. Nous sommes des individus qui discutons dans une culture, dans un langage quasi collectif, voire très souvent universel et pourtant, il nous arrive de ne plus comprendre/entendre l’Autre. Car l’accès à une communication groupale, dont nous maîtrisons les codes sociaux, ne nous retire rien de notre singularité, en situation d’échange avec un individu tout aussi singulier.
Nous nous sommes de la sorte créé, au fil des années de notre évolution, des filtres représentationnels et situationnels qui interfèrent continuellement, en nous ,avec notre système de compréhension lors d’échanges/d’interactions, volontaires ou non, et de prise d’initiative, comme nous pouvons le faire lors d’une oralisation ou de la transmission écrite d’un récit.
Il me semble dès lors important de rappeler le potentiel formateur mis à jour et développé dans les années 1980 et dans les pays francophones par Gaston Pineau, en Sciences de l’Éducation. L’essentiel en effet, dans le récit, est de le penser et de l’envisager comme un épisode de sa vie ce qui permet de le raconter, de le mettre en récit en le rendant socialement « entendable ». Ce récit se crée sous forme de « co-construction » où l’un est invité à mettre sa vie en histoire à partir de son vécu, l’autre étant celui qui suscite et accueille cette parole (Lani-Bayle Martine et Milet Eric, Traces de vie, de l’autre côté du récit et de la résilience, 2012). Page 135 de ce même ouvrage, je relève : « L’intérêt du récit : comme racontage accompagné en co-construction (rapport narrataire qui invite et incite au récit pour solliciter du non-encore dit chez un narrateur ainsi stimulé). »
Est-il nécessaire de se former au recueil des histoires et récits de vie en formation ?
Ainsi, il semble bien légitime, quoique complexe, mais dès lors intéressant de s’interroger sur la légitimité de se former aux histoires de vie en formation, aux récits de formation, notamment, voire surtout, dans un cadre d’une exploitation de données à la demande du narrateur-conteur, pour produire avec lui un travail co-constructif et dialogique.
On trouve actuellement ces notions de recueilleur de vie, de biographe, au cœur d’annonces publicitaires, d’offres de services et parfois même, à la Une de faits divers dramatiques, soit parce que des narrateurs se plaignent de la qualité d’un service d’aide ou d‘assistance, soit parce qu’un narrataire lui-même qui, n’ayant pas de formation de base, vit très mal avec les informations confiées, les conserve secrètement, les accumule et, à terme, craque psychologiquement. Car la gestion lui en est alors rendue impossible : le narrataire étant non formé (ou se croyant préparé parce qu’il s’est formé en « auto-didacte » ou qu’il a un grand sens de l’humanité, se croit avoir des capacités empathiques), son manque de cadre théorique et de pratique, normalement abordés et acquis en formation, lui feront défaut. Seul et sans recul, il se met en danger. Lorsqu’un narrataire a reçu une formation, il appartient à une structure à laquelle il peut faire appel pour exposer ce qui lui pose problème, demander conseils…
S’engager à recueillir des récits de vie, ainsi, ne peut relever d’une simple démarche privée ou isolée. Une telle posture se doit de s’appuyer sur une éthique, une technique, des démarches, une réflexivité, une distanciation mesurées par des mises à l’épreuve singulières et/ou collectives éprouvées lors de la formation. Comme je l’ai déjà soulevé plus tôt, le recueilleur de récit formé, le praticien du recueil a visité et mis au travail sa méthodologie personnelle de réception des messages, il a intégré la notion de filtres relationnels, de filtres représentationnels… Il s’est mis à l’épreuve, il s’est interrogé sur ses interactions, ses ressentis, ses erreurs d’interprétations et ne les commet plus (ou moins…) en fin de formation. Le recueilleur de vie n’interprète pas, il reçoit, retransmet le « don » de son narrateur oralement ou graphiquement… Il ne travaillera plus sur l’objet d’une demande d’un narrateur, mais il travaillera avec un sujet narrateur.
Ainsi, s’engager à recueillir une histoire de formation est une démarche professionnelle, une attitude étudiée qui comporte une gestion de compétences multiples, acquises, réfléchies, reconnues par un cadre formateur qui a validé la capacité d’user de cette méthodologie dans un champ de compétences minimum pour l’exercice de ce travail de recueil et ceci, dans un intérêt individuel ou collectif/communautaire.
Recueillir un récit de formation n’est-il pas un moment d’échanges duels et/ou pluriels réalisable par des interviewers ayant une formation autre que le Diplôme Universitaire des histoires de vie en formation ?
Certains ont appris, dans le cadre de formations instituées, l’importance et le rôle d’un récit de formation, notamment en psychologie ou en formation universitaire de biographe… Mais la formation des histoires de vie décentre l’objet d’étude.
Cette formation, dès le départ et sur ses deux années, invite à intégrer rapidement un concept très clair : « tout travail de recueil se fait avec un sujet ».
Le recueilleur de vie, comme je l’ai abordé précédemment, ne partage pas des informations données afin de travailler sur une problématique. En tant que narrataire, il va travailler avec un sujet qui peut soulever un problème.
La méthodologie utilisée est une méthode « clinique-dialogique » qui va rendre compte d’un espace préétabli entre le narrataire et le narrateur. Celui-ci tient compte d’une temporalité prédéfinie dans le cadre de l’écoute, souvent une demi-heure, trois quart d’heure, car c’est une durée en général cognitivement supportable par les deux protagonistes. Ces entretiens « enregistrés » afin de retransmettre le plus fidèlement la « réalité » de l’échange.
La démarche est dialogique/dia-logique (au sens d’Edgar Morin) : le narrateur va transmettre des informations souvent brutes, pas encore socialisables, par un récit et va se nourrir de l’échange. Le narrataire a un savoir à transmettre et à offrir au narrateur, qui va lui permettre de rendre son discours socialisable et distancié de toute émotion trop forte, qui pourrait « dé-former » le fond du message lui-même. Car souvent, le narrateur aura une image de lui surchargée de préconceptions, de représentations imaginaires qui prennent leurs racines dans l’ensemble de sa personne, son histoire.
L’entretien clinique se situe dans une relation « subjective ». Le recueilleur de récit ne met pas seulement ses connaissances au service de l’autrui-narrateur, ce sont ses capacités de ressentir, de comprendre et d’élaborer, qu’il devra intelligemment utiliser au service du narrateur. C’est alors qu’une notion acquise en formation prend sens, celle de la démarche clinique dialogique et co-constructive dont il est question. Le narrataire devra ainsi laisser la parole au narrateur afin de lui permettre de parvenir à parler pour qu’il dise ce qu’il a à dire, ce qu’il veut dire, ce qu’il peut dire… Le clinicien-recueilleur interférera le moins possible afin de ne pas entraver la parole du narrateur mais la faciliter : cela suppose qu’il ne manifeste pas de curiosité de façon intempestive, encore moins manifester un désir inquisiteur d’extorquer une « vérité ». Tout en restant accueillant à la parole émise, et cela est très important, car il ne devra pas émettre de jugement, de critique, de désapprobation. Je précise ici que cette posture d’apparente « neutralité » ne signifie pas ne rien éprouver, c’est parvenir à ne pas communiquer des signes qui trahiraient ce que l’on éprouve, quand il s’agit de cas extrêmes. Il s’agit d’une posture neutre mais néanmoins active, assumée.
Souvent, c’est à ce niveau que des erreurs sont commises par manque de formation initiale. Ce qui se traduit par le besoin d’interpréter les dires, les faires, les actes qu’énonce le narrateur. Seule une formation sérieuse prend en compte et informe de ce danger. Si le narrateur cherche des interprétations à son histoire, à son vécu ou à sa façon d’agir et de penser, le chercheur clinicien en histoire de vie doit être déontologiquement capable de l’orienter vers des professionnels adéquats. Le recueilleur de vie n’a pas pour objectif d’accompagner « thérapeutiquement » un narrateur, ce n’est pas sa vocation ni sa formation.
Les entretiens enregistrés et retranscrits sont fournis au narrateur, qui va alors pouvoir confirmer que l’entretien correspond bien à l’échange. Il pourra le compléter également à cette occasion, voire le rectifier ou transformer. Les entretiens constituent un miroir dactylographique, rendus visible par ce retour de tapuscrit, d’échanges oraux ayant eu lieu à un moment « M » qui respectera au plus près la phonologie énoncée par le narrateur. Un simple transcripteur aura, volontairement ou involontairement, reporté la parole du narrateur à travers ses propres filtres éco-systémique… Ce qui offre un travail différent d’un recueilleur de vie « formé » qui aura investi et se sera impliqué dans le travail de « co-construction » avec un « sujet » et qui ira avec lui au-delà de cette phase de transcription d’un code oral vers le code écrit. Ainsi, l’échange dialogisé co-construit peut ensuite être mûri et modifié en M+1 (passé un temps de réflexion).
De la théorie à la pratique par l’exemple

Doctorante et diplômée en histoire de vie en formation, j’ai utilisé cette méthodologie découverte en Master Sciences de l’éducation à Nantes sous la direction de Martine Lani-Bayle, mais non investie, non impliquée dans le cadre du Master puis vécue, investie et impliquée en DUHIVIF.
Après-avec la formation, la recherche
Dans le cadre de cette recherche clinique qui porte sur le thème de la résilience, j’introduis un concept complémentaire à celui de « tricotage résilient » de Boris Cyrulnik. J’élabore ainsi une théorie que j’ai appelée du « trico-tissage résilient » et tente de découvrir les différents processus mnésiques résilients auto-tutorants dans un rapport au savoir.
Bien que diplômé d’un Master de Recherche, il me semblait indispensable, pour une telle recherche impliquante, d’acquérir cette formation en histoire de vie pour accéder à une compréhension de ce que je pouvais susciter et entendre.
Le recueil de récit pour ma recherche est l’outil, l’essence de mon corpus. En effet, j’évolue dans un contexte où la parole et le récit sont difficiles, puisqu’un trauma est venu contraindre les sujets avec lesquels je m’entretiens à une agonie psychique.
Martine Lani-Bayle, en 2012, relevait que les récits n’étaient pas initialement prévus pour « s’attaquer aux situations extrêmes ». Et, quoique ce soit leur cas dans mon travail, j’ai choisi d’offrir la parole à mes narrateurs à travers leur récit de formation, à savoir portant non sur leur traumatisme (avéré, leur agresseur ayant été jugé par la loi) mais sur le temps de leur formation scolaire et professionnelle. Je vais laisser ainsi s’exprimer les processus utilisés par mes sujets afin qu’ils expriment leurs modes d’actions, les motivations à travers lesquelles ils s’inscrivent dans leur environnement et ce, au delà des conclusions inductives et générales de notre société qui stéréotypise trop vite ces sujets abîmés.
Ce travail m’embarque néanmoins, malgré ce contour, dans des histoires de vie traumatiques à l’origine, et il touche des sujets atteints dans leur corps au plus gravement et dès leur plus jeune âge. L’étude se développe autour de notions qui portent l’individu, en tout cas qui permettent à celui-ci de revenir, d’être debout. C’est uniquement parce que la personne victime de trauma a retrouvé un équilibre postural que je me suis engagée avec et auprès d’elle dans ce travail de recherche.
Comme le préfaçait Boris Cyrulnik dans l’ouvrage de Martine Lani-Bayle avec Éric Milet Traces de vie, De l’autre côté du récit et de la résilience (2012), « il faut un partenaire pour participer au discours. La fabrication d’un récit dépend de l’image que l’on se fait de soi, que l’on doit mettre en mots si l’on veut le partager. Et les mots qu’on choisit pour adresser à l’autre, sont puisés dans les récits du contexte… »
Hisse toi (re) et chants des « ré-si… »
Lève-toi, bouge-toi, prends connaissance de toi-même et tente de mette des mots sur ce que tu vis actuellement, sur ce que tu observes de ta vie, sur ce que tu comprends de ce que tu vis. Produis du sens, ou « re »produit ce sens pour poursuivre ton cheminement. Autrement.
Les parcours de vie de mes narrateurs contiennent des événements extrêmes. C’est en fonction de son âge, son parcours, sa volonté de poursuivre sa vie avec une énergie authentique que, par le biais des entretiens cliniques, ils témoignent de leur processus énergétique et dynamique spécifique à leur besoin de verticalisation sociale qui voyage entre connu, reconnu, méconnu …
La scodatura est un procédé relevé en histoire de vie par Martine Lani-Bayle, sur le modèle musical, comme la possibilité, dans les chants des « ré-si … », de rejouer une partition de sa vie sur un accord différent de celui proposé. Même si son usage en musique est rare et surprend les mélomanes, la scordatura à l’œuvre prend sens et donne vie à la partition proposée. Pour l’individu détruit par le trauma, elle évoque cette mélodie personnelle discordante qu’il se joue lui même. Par le récit de son hymne, il teste sa musicalité. Il joue avec l’éprouvé, l’apprécie ou pas et, dans ce dernier cas, il peut la modifier.
Ainsi, je recueille pour cette recherche des récits de vie, ou plus précisément des récits de formation qui, implicitement/explicitement, prennent appui sur cette organisation liée à la boucle tétralogique développée théoriquement par Edgar Morin. En vue de la complexité de chaque histoire singulière, je tente une recherche d’intelligibilité dans une interrelation, dans une interaction, dans une interdépendance des idées qui auront pris place chez un individu où l’ordre établi est perturbé par un désordre événementiel. Nous interrogeons ainsi la naissance de l’ordre posé par les institutions (famille, école, activité, culture…) ou, au contraire, le désordre qu’elles imposent parfois.
Le récit pourra mettre à jour les représentations résilientes mises en place par l’individu afin de s’apporter « son » propre équilibre, quand il fait défaut alentour.
Deux vies…
Lorsque la parole est offerte, permise, alors les mots vont prendre une forme de vérité narrative, souvent bien éloignée de la vérité historique. Le récit va ainsi permettre un remaniement autorisant au blessé de l’âme à rendre son existence supportable. Certains récits arrangés arrivent de la sorte à être plus cohérents que certains faits de la réalité (Boris Cyrulnik, Sauve-toi la vie t’appelle !, 2012 ; Boris Cyrulnik, Entretien avec Denis Peschanski, 2012).
Cette fonction du récit renvoie aux travaux de Paul Ricœur (1913-2005) qui développe le sens de l’herméneutique à travers une philosophie réflexive notamment dans son ouvrage Philosophie de la volonté, (1950). Ces récits portent sur la souffrance, le mal, la faute et leur rapport à la volonté. Paul Ricœur s’interroge sur la fiction, l’histoire et le temps (Temps et Récit, 3 volumes de 1983 à1985).
Dans une telle perspective, les sujets avec lesquels je travaille sont invités à développer les événements positifs, vécus comme agréables par eux même s’ils sont éphémères. Par exemple, Théo exprime qu’il veut ramener des bonnes notes à sa maman et il y arrive, c’est, pour lui, faire comme super Mario (jeu pour enfant), ramener des pièces en or pour sa maman. Howard est invité à sortir de sa provocation et à être comme tout le monde : comme tout le monde… ! on ne le lui avait jamais suggéré. Amélie exprime qu’elle a besoin d’un « sur-vêtement » pour se sentir habillée et rassurée, sans quoi elle se sent mise à nu ou déguisée. Caroline doit travailler, c’est une question économique, pas un choix, elle a la direction d’une cinquantaine d’hommes dans la « protection » des personnes…
Le recueil de récit d’événements concernant leur formation et leur accès à la professionnalisation les entraîne ainsi à faire du récit, à « faire du discours, papoter une idée par-ci », une image par-là, en fait, une manière « de tisser du lien » (Boris Cyrulnik, en préface à Traces de vie. De l’autre côté du récit et de la résilience). De la sorte, la thématique/problématique de vie ne s’isole dans son contexte. Prenons l’exemple de la violence : elle s’inscrit, et son récit doit s’entendre, dans son contexte « pensé/pansé » dans une vie sociale/familiale/économique… mais aussi, dans une culture empreinte des représentations qui environnent le narrateur. « La rencontre avec l’autre nous soulève et nous montre la notion du nœud psycho-sociologique », remarque Gérard Ostermann (Colloque du collège régional des alcooliques aquitains, 10 mai 2011).
S’offrir le droit à une deuxième vie à travers une possibilité telle que la résilience a sa spécificité, elle est une possibilité pour une victime qui s’est vécue à travers une « mort » psychique, une agonie psychique et qui tente plus tard de reprendre sa formation. Comme Boris Cyrulnik le développe avec la notion de tricotage résilient, et qui s’applique aux personnes qui tentent d’avancer avec leur nœud traumatique.
Et forme « Ah ! Si on… »

Plus loin, le trico-tissage résilient permettrait, malgré son nœud traumatique, de passer, dépasser, traverser, contourner les nœuds sociétaux auxquels chaque individu d’une société est plus ou moins confronté. Victime d’un trauma, les sujets portant déjà un nœud traumatique, et pas des moindres, se retrouvent dans l’incapacité de traverser les nœuds sociétaux : ils les traînent, les cumulent, jusqu’à justifier les chiffres statistiques fatalistes d’échec qui aux yeux de la plupart caractérisent ces personnes enfermées dans uns tatut de victimes.
Ceux qui ont travaillé avec moi sont des sujets actifs, dans une dynamique impressionnante, et ils partagent par le récit ce qu’ils font et pourquoi ils le font…

Si ma formation m’a appris à ne pas interpréter les faits ou paroles mais les laisser entendre pour ce qu’ils disent autour, je découvre, à travers leurs récits, les différents processus mnésiques auto-tutorants qu’ils ont mis en œuvre. Le récit, comme l’écriture pour témoigner, ne sont pas des recettes de mieux-être ou de dispensateur de sens en soi, surtout quand ceux-ci laissent place à une blessure encore très sensible. J’aborde en général, avec eux, le rôle de la mémoire, des mémoires du traumatisme, à travers les sens (odorat, toucher, vision…) qui participent à cette ré-émergence douloureuse. Ainsi, il est important de dire un événement, que celui-ci soit fantasmé ou qu’il appartienne au récit narratif, sans pour autant l’envisager comme un récit « historique » ou à portée thérapeutique. Mais simplement formateur de la vie. Car finalement, le sens offert par le narrateur a toute sa valeur : pour lui il « est », il est « sens », il est « forme », il vit ainsi. Et ça n’est pas à moi de le décréter pour lui.
Bibliographie

Cyrulnik, B. (2012). Entretien avec Denis Peschanski. Mémoire et traumatisme : l’individu et la fabrique des grands récits. Ina éditions.
Cyrulnik, B. (2012). Sauve-toi la vie t’appelle ! Odile Jacob.
Cyrulnik, B. (2010). Mourir de dire la honte. Odile Jacob.
Lani-Bayle, M. (2006). Taire et transmettre, les histoires de vie au risque de l’impensable. Chronique Sociale.
Lani-Bayle, M. et Milet, É. (2012). Traces de vie, « de l’autre côté du récit et de la résilience ». Chronique Sociale.
Morin, E. (1977). La Méthode, 1. La nature de la nature. Seuil.
Morin, E. (2005). Introduction à la pensée complexe. Seuil.
Pourtois, J-P., Humbeeck, B., Desmet, H. (2012). Les Ressources de la résilience. PUF.